L ' H Ô T E

T H O M A S    R O L L A N D

M E S
P R O T A G O N I S T E S

 L A    S O M M E L I È R E 

L O L I T A    C H E V R E A U

Il vous observera avec la plus discrète acuité. A ses gestes et ses mots, préside la prévenance. Votre déception est pour lui ce monstre qui, la nuit, se cache sous le lit des enfants. Chef d’orchestre et troubadour, chantant et souple comme un fifrelin, Thomas pressent, devine, anticipe ; l’avenir, dompté, se repose en ses mains. Oh, ce n’est pas un porte-plat, non ; il n’a rien, non plus, d’une desserte : Thomas disserte, compose, Thomas arrange comme il dispose ; il ne présuppose pas votre plaisir, il le tisse et le lisse, de plat en plat dessine un récit, et d’être ainsi à votre disposition, vous rend bien disposés à son égard.

L E    C H E F 

B E N J A M I N    S A N C H E Z

Lolita est un « nez ». Sur un marché au Cambodge, elle a senti un jour la plus terrifiante des odeurs, celle des chairs en putréfaction, celle qui accompagna la naissance d’un Jean-Baptiste Grenouille. Il était dix-sept-heures : « quelles terribles cinq heures du soir », aurait dit le poète. 

Lolita qui en avait, enfant, formé le désir, n’est pas devenue « nez » pour la parfumerie. Le parfum, isolé, ignore le goût : quelle frustration pour qui n’aime rien tant que déguster ! Il faudrait, oui, que vous la voyiez goûtant les plats de Benjamin, les vins que lui apporte Pierre-Armand, ceux que son insatiable curiosité la pousse à découvrir : à chacune de ces occurrences, ses sens explorent, dans le moindre détail, l’origine de sa joie. 

Comme Giono lui-même, Benjamin le provençal n’aime pas la Provence. Il l’adore et la hait : adoration de sa réalité, de sa crudité, de son infinie beauté ; détestation de l’image d’Épinal qu’on lui accole. Le Chef l’assène : il n’y a pas de cuisine provençale ; il n’y a qu’une cuisine méditerranéenne. La Provence, l’Italie, la Grèce, le Maghreb, l’Espagne offrent des produits qui, pour beaucoup, sont semblables ou se ressemblent ; ils offrent aussi une cuisine en somme toujours identifiable sous les auspices de la plus sincère confusion ; car la cuisine de la Méditerranée est cuisine de fusion. A cet égard seulement celle de Benjamin est-elle méditerranéenne : foin des panisses qu’il vous prépare, de l’ail et des anchois qu’il porte aux nues, des mets de poisson qu’il concocte avec toute la rigueur que lui ont inculquée certains chefs japonais qui l’ont formé : la cuisine de Benjamin n’est pas identitaire. Elle n’a qu’un terreau, le mélange, qu’un seul juge, le goût, qu’un seul objectif : l’harmonie des saveurs multiples. 

L E    P O U R V O Y E U R   

V I N I C O L E

P I E R R E - A R M A N D    B L A N C O

Pierre-Armand se tient loin des discours politiques quant au vin ou à la gastronomie. Si son palais est de dentelle, sa langue n’est pas de bois : goûter n’est pas adouber ; il est crucial de savoir penser et dire : ceci n’est pas bon – après un temps d’examen raisonnable, après autant de réitérations que nécessaire. Si le vin est bon, le vigneron est sérieux. S’il est sérieux, il faut lui faire confiance ; et admettre, enfin, qu’aucun vin ne saurait être universel, ni ne saurait être un simple effet de la mode. En sorte qu’un vin n’a de vérité qu’immédiatement esthétique : son parfum, son goût, son apparence, son toucher sont autant de critères nécessaires et suffisants de son appréciation : son terroir, le travail de vinification dont il est issu, viennent ensuite ; le caractère sympathique ou non du vigneron, sa démarche politique, ne sont certes pas éléments négligeables en eux-mêmes : mais ils le deviennent s’ils sont pris pour pierres de touche du plaisir de déguster. Qu’importe le flacon : on ne boit pas les étiquettes. 

Photographie © Jules Azelie 

Textes © Virgile Deslandre